Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 janvier 2009 4 22 /01 /janvier /2009 10:27


Dans la foulée du concours de nouvelles organisé, tous les ans, par la Communauté française dans le cadre de la "Fureur de lire", la maison d'éditions Chloé des Lys a fait appel à textes en vue de mettre sous presse un recueil collectif de 70 pages auquel j'ai participé avec plusieurs auteurs de la maison. En 2008, le thème était "Révolution". J'ai choisi de mettre à l'honneur le poète andalou Frederico Garcia Lorca (mon texte ci-dessous) :



Nouvelle lune.                                                                          Liège, le 20 mai 2008

Cher Santiago,


J’ai encore rêvé du ménestrel de Grenade. Je crois que la nouvelle lune n’y est pas étrangère. Je ne puis résister à l’envie de prendre la plume ; je dois sauvegarder l’émotion.


« Rebondie, métallique, la lune abreuve le soir d’une clarté opaline. Elle se joue du lierre qui s’étale sur le mur noirci de poussier du terril. Elle déploie les bras. J’étreins l’oreiller. Je navigue entre désir et douleur. Je sais qu’à nouveau elle m’envolera dans vos campagnes inondées de soleil, dans l’histoire où la terre s’embrase. Dans le chaos où tous deux vous étiez, où je ne suis que fantôme. Ici, le ciel marine est plus bas comme s’il voulait laisser la vedette aux hanches argentées de son hôte. De l’autre côté de la ruelle imprégnée de musique, j’attends. Ses fenêtres sont grandes ouvertes. J’espère l’instant magique où je surprendrai son corps. Je soupire. Le besoin viscéral de le matérialiser me tenaille. Muse des poètes, fais venir au balcon ton seigneur andalou ! Le gramophone tourne. Il chante d’une voix suave. Crescendo, les notes sanguines, inspirées par Satan s’emballent. L’une contre l’autre ses mains frappent plus fort. Le torse glabre, cuivré, il danse avec l’élégance innée qui appartient à ses pairs. Il rit de ses dents blanches. Son regard sombre est plus brillant que la nuit. Chante mon ténébreux amour ! Chante avant que s’évanouisse la lune ! Nuit maîtresse, prolifique, je bouts du désir ardent de retarder ton agonie. Garde mon corps en sueur dans tes draps de rêveries ! Sursois à l’aube cruelle et son linceul de cauchemars ! Déjà je ressens la menace : elles arrivent, les horribles figures de la Guardia. J’entends le bruit sourd des sabots claquer sur les chemins de terre. Les coursiers du général arrivent, toute l’imbécillité de la force brutale contenue sous leur uniforme de drap vert. Ils veulent son sang coulant sur la terre. Pauvres abrutis ! Comme si des balles débarrasseraient la folie tyrannique des mots du génie. La haine embrase mes entrailles. Mon regard hostile cherche en vain parade. Spectatrice stérile, j’enrage ! Oh ! Dieu du ciel, ton livre de messe n’a-t-il suffisamment persécuté son âme ? Faut-il que tu les laisses prendre son sang, celui des chemises de la liberté, celui des guitares de flamenco, celui de Federico ? Aide-moi, divinité de l’Espagne ! Empale ces corbeaux de tes cornes acérées ! Ils ont attendu l’aurore pour l’emmener. Déjà je ne vois plus que son ombre altière, sans insolence. Il s’en va escorté du noir chacal. Dans un monstrueux silence, ils ont pris Federico, sur sa terre grenadine. Mulets, oliviers et orangers amers murmurent à la vigne de tarir la vendange. La révolte qui gronde n’est rien à côté de celle qui gouverne chacune des parties de mon être. “Vous ne savez pas ce que vous faites ! Mais moi, je ne vous pardonnerai jamais ! ” Je hurle si fort que je m’éveille. »


Voilà, mon tendre ami, je t’envoie mon rêve. Ils disent que Federico est mort par un ciel sans lune ; ils mentent. Toi, tu sais qu’elle était là pour lui, vibrant amant. Son sang est à elle. Elle l’a fait couler sur la terre, dans le fleuve. Et, les eaux grises du Guadalquivir l’ont charrié par-delà les murs blancs de l’Espagne.


Le matin est électrique, chargé des révolutions de ma nuit. L’écriture, comme toujours est mon exutoire, elle apaise ma colère. Sur le chevet, je saisis sa « Romance gitane ». J’ai arrêté mon choix. Demain, niant le silence de l’Education nationale, je leur lirai à voix haute « La femme adultère ». Mais avant je leur parlerai de lui ; ils ne le connaissent pas. Ils vont l’adorer, on est rebelle à 17 ans.


Je compte passer l’été à Fuente Vaqueros. Je serai là pour ton quatre-vingt-dixième anniversaire. A l’ombre de l’amandier, tu me raconteras encore les silences de votre amour. Moi, j’attendrai la nouvelle lune...                                                   Besos cielito lindo, Jeanne.




Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Chantal ADAM
  • : Blog littéraire
  • Contact

Chloé des Lys

Une petite maison d'édition dans le Hainaut qui est la mienne : link
Le boss à Tournai la page 2007.

Rechercher